Ça ne court pas les rues
Hier j’ai entendu cette expression : « trouver un bon poissonnier c’est dur, ça court pas les rues ».
Bon, tout le monde, à part un ou deux bouddhistes tibétains détestant le poisson et la course à pied, connait l’expression.
Poissonnier Coureur de Rue
Je me suis tout de
suite imaginé un poissonnier, appelons-le Youssef, avec son beau tablier blanc
de poissonnier, sa toque bleue, ses bottes de caoutchouc jaunes et son grand couteau
de poissonnier pour découper de jolis filets de sardines.
Youssef est un bon poissonnier et ce qui le distingue de tous les autres poissonniers de la terre, c’est qu’il ne court pas les rues. Chacun son truc.
Si donc quelqu’un vous
affirme avec vigueur que : « Des bons poissonniers comme Youssef, ça ne court pas les rues !», il signifie
clairement par là que vous avez très peu de chance de croiser Youssef avec son
couteau de poissonnier en train de taper le cent mètres dans les rues de votre
quartier.
D’abord, d’un, Youssef
ne court pas, et de deux, quand bien même Youssef aurait une passion immodérée
pour le sprint, il ne s’y adonne jamais en pleine rue.
Donc, pour croiser le
bon poissonnier qu’est Youssef en plein marathon rue Foch ; macache, tintin,
wellou, zéro, bonbon : c'est impossible.
Drôle d’expression
quand même. Et particulièrement apprécié du locuteur lambda à la forme négative.
Voici deux exemples relevés sur le terrain :
« Un boulot payé 4000 boules,
ça court pas le rues ». Effectivement, super hard de visualiser un concept
aussi abstrait que « boulot payé 4000 boules » en train de faire son
jogging sapé Gucci rue Gambetta.
« Des mecs aussi cons que ça, je te jure, ça court
pas les rues ». Dans cette phrase, la mention « aussi con que ça »
indique qu’il s’agit d’une espèce de con bien définie, l’élite du genre en
quelque sorte et que l’on a peu de chance de tomber sur un spécimen en train de
tracer comme un dingue rue Joffre.
L’expression possède quelques équivalents assez redoutables. Jugez-en plutôt :
« Un bon poissonnier
comme Youssef, ça ne se trouve pas sous les pieds d’un cheval » (j’imagine
l’improbabilité de la scène) auquel répond non sans finesse et logique le québécois :
« Un bon poissonnier comme Youssef c’est rare comme la marde du Pape. »
Oui, les cousins disent « marde ». Avec « e » ça ferait trop
french-bobo.
Pour finir le tour de la famille francophones, au Cameroun, l'on peut entendre
la formule cabalistique suivante : « Vendeur de poisson façon Youssouf là,
tu vas fatiguer jusqu’aaaaà pour trouver son pareil. »
L'emploi de « jusqu'aaaaa » ou le « a » est plus ou moins long en fonction des capacité pulmonaires du locuteur, suggère avec vigueur l'idée que même en sillonnant les rues du quartier jusqu'à l'exténuation des facultés motrices, il est fortement improbable que vous croisiez quelqu'un ressemblant à Youssef en train de faire son footing.
En anglais l’on entendra le
très perspicace et bucolique : « Fish merchants as good as Youssef is do not grow on trees. »
(les bons poissonniers comme Youssef ne poussent pas sur les arbres).
Et en breton le super
mystique : « Ur marc’hadour pesk èl Yousef zo ken just ha fri ar c’hazh »
(un poissonnier comme Youssef est aussi rare que le nez du chat).
Notons les expressions
de sens contraire, signifiant « facile à trouver, commun ou banal » :
« Courir les rues, Battre la campagne ».
Expressions qui au passage
sont aussi les titres de livres publiés par Raymond Queneau, le premier en 1967
et le second en 1968. Je souligne la chose car je trouve ça complètement dingue.
C’est aussi de nos jours le nom d’un groupe de chanson française.
Puisque l’expression
provient de « courir les rues », et j’en aurais fini, j’ai appris que
cela s’employait autrefois dans « être fou, être fou à courir les rues, à
courir les champs, être très fou. »
Y avait-il, à un
moment donné en France, des myriades de dingues qui courraient dans tous les
sens les rues des villes ? A tel point que l’expression a évoluée en « être
commun, fréquent » ou encore « courant » ? (encore le verbe courir sous sa forme au participe présent)
Les mystères de la langue
mec. Puissant.
Et pour conclure, je
cite Mister R, respectable patron de l’alimentation de nuit du coin et
philosophe à ses heures :
« Ah ça, les cons, c’est sur, ça court les rues ! Il
y en a partout ! Et ça galope, ça galope ! Ah les cons, ça court oui !
Ils font que ça toute la journée. »
Pourquoi cette fixation en français sur le noble art de la course à pied urbaine pour signaler la rareté ou la trop grande fréquence ?