Dream In Blue with Gainsbourg
J’étais dans un bois aux arbres mauves à la recherche de champignons aux propriétés magiques. C’est un vieux sage chinois chez qui j'effectuais une sorte de stage, un ermite vivant dans une grotte aménagée dans les contreforts des Pyrénées, qui m’avait demandé d’aller les chercher dans le bois aux arbres mauves.
J’étais au milieu de cette étrange foret lorsque j’entendis une
musique percer l’épaisse broussaille. Je reconnus l’air tonitruant du
début de Initials B.B puis les paroles firent suite : Une nuit que j'étais A me morfondre Dans quelque pub anglais Du cœur de Londres…
Je
me suis mis en quête de la provenance de ce son. Quelques centaines de
mètres plus loin, je débouchais au cœur d’une clairière au centre de
laquelle se posait un bâtiment rectangulaire au toit de tôle grises.
Tout
le bâtiment était en tôle. Et tout le bâtiment était gris. Tout sauf l’unique
porte d’où radiait une douce lumière bleue. Le son venait de là. En me
rapprochant de cette porte j’entendais : Agitant ses grelots Elle avança Et prononça ce mot : Alméria. Pourquoi du Gainsbourg ?
Dès que je fus devant l’entrée, la musique cessa. L’intérieur était
un immense hangar vide baignant dans une lumière bleue dont je ne
pouvais voir la source. Et au centre de cet hangar se tenait Serge Gainsbourg.
Une cigarette à la main tenue négligemment. Il semblait absorbé par
quelque chose au plafond. Quelque chose que je ne voyais pas car il
n’y avait rien d’autre au plafond que des tôles colorées de bleu. Je
restais médusé jusqu’à ce que Serge Gainsbourg me remarque.
- Alors mon p’ti gars, reste pas là, ramène toi.
J’avoue
que je me suis demandé qu’elle attitude adopter durant quelques
secondes. Et les champignons ? Le sage chinois m’avait rappelé à trois
reprises que les champignons devaient être cueillis juste avant le
coucher du soleil et surtout pas après. C’était capital. Et il fallait
que je les ramène avant le journal de vingt heures. Après, le vieux
chinois n’aurait plus le temps de les préparer pour sa recette secrète.
Gainsbourg
trouvant le temps long est alors venu vers moi. Il me regardait avec
mon panier en osier suspendu à mon bras et ma mine interloquée. Dans
ces cas là je me met toujours à parler pour dissiper la gène induite
par la situation.
- C’est quoi cet endroit ?
Gainsbourg
tira une bouffée sur sa clope sans filtre et s’absorba dans la
contemplation de ses doigts jaunis par le tabac avant de répondre en me
fixant superficiellement.
- Ici c’est là ou tout commence. C’est le rien bleu. Et non pas le Danube fit-il avec un sourire ricanant plein de sous-entendus inaudibles pour moi.
- Et ça sert à quoi le rien bleu ? ai-je demandé pressentant déjà la tournure de sa réponse.
-
Ça sert à tout faire. C’est ici que j’ai écrit toutes mes chansons par
exemple. Dans le rien bleu. Et ça, il n’y a que moi qui le sait. Et toi
maintenant. Tu veux une coupe de champagne ?
Je lui ai dit non.
Il ma regardé puis jetant sa cigarette au sol pour l’écrabouiller du pied il a lancé :
- C’est bien mon p’tit gars, tu viens de passer le premier test. Dis moi à quoi tu penses en ce moment même ?
Je n’ai pas réfléchi et j’ai répondu du tac au tac :
- Je me demande pourquoi Mitterrand fut le dernier grand président de la France.
- Alors regarde la réponse me fit Gainsbourg en désignant d’un geste las le centre du hangar.
Je vis alors se former un nuage de fumée bleue qui se dissipa vite pour laisser place à une vision incroyable.
Je voyais François Mitterrand assis sur un
rocking chair sur la terrasse d’un maison de campagne cossue posée sur un colline entourée
d’un gazon vert et coupé ras. Il semblait méditer.
En contrebas de la colline il y avait une foule de gens en habits militaire qui scandaient des slogans anti-américains.
Parmi
la foule il y avait aussi des hommes sans tête qui tenaient justement
leurs têtes entre les mains. Et ils dansaient dans la foule en arborant
des pancartes sur lesquelles je pouvais lire : Merci Monsieur Le Président.
Je vis encore dans la foule des jeunes arabes et des noirs portant tous des afros gigantesques brandissant en l’air des badges touche pas à mon pote. Sur leurs tee-shirts était marqué : Merci Monsieur Le Président.
Il y avait encore dans la foule des communistes avec des drapeaux frappés de l’effigie de Che Guevarra qui criaient : Merci Monsieur Le Président. Je vis même très rapidement dans cette foule Yves Mourousi enlever ses lunettes d’écailles et hurler dans un porte voix : Parlez vous le verlan Monsieur le Président ?
La vision disparut. Gainsbourg ralluma une cigarette et me dit :
- Alors p’tit gars, content ?
Je le regardais longuement. Il portait un ensemble en jean délavé. Avec la couleur bleue de l’endroit c’était surréaliste.
- C’est donc à ça que ça sert cet endroit ?
- Pas qu’à ça. Au fait, puisque t’es là p’tit gars, t’en penses quoi de mes chansons ?
J’avoue avoir bégayé en lui répondant : Initials B.B c’est quand se déchire l’illusion de l’amour de la beauté.
Gainsbourg a souri.
Juif est Dieu c’est la seule réponse à donner aux cons qui se la jouent en s’appropriant des concepts qui les dépassent.
Gainsbourg à encore souri en rajoutant mais encore ?
Et La ballade de Melody Nelson c’est celle de la raison confrontée à ses pire travers. Maintenant il faut absolument que j’ailles cueillir des champignons Serge.
Je me suis étonné moi-même du degré de familiarité dont je faisais preuve avec lui en l'appelant par son prénom. Tout ce qu’il m’a dit alors que je m'en retournais dans le bois mauve c’est :
P’tit gars, tu sais ou se trouve le rien bleu maintenant. Et les champignons que tu cherches, faut savoir que c’est pour faire la recette de l’omelette qui apportera la paix sur terre.