Lehaim - Michael Sebban
Me voici dans un hall de gare à attendre une correspondance. J'ai pas loin
de deux heures d'attente. Je fais un tour rapide en ville aux abords de la
gare. Immense place piétonne devant la gare bordée de cafés, brasseries et
commerces divers à gauche et à droite.
Comme j'ai l'air débile debout sur la
place avec ma valise à roulette et mon sac à dos accroché…au dos.
C'est une grande ville, je le sais maintenant, super.
Je reviens dans l'immense hall de cette gare qui fait penser à un véritable petit aéroport international.
Il y a plein de
kiosques et de cafés.
Pas de présence policière visible à l'intérieur.
C'est marrant, je note toujours ce genre de détails.
Par contre il y a des gars
habillés genre Men In Black avec des gros badges marqués Sécurité.
J'en croise un. Cheveux courts et noirs, peau très matte. Sur son badge il y a
inscrit Karim M., c'est marrant, je note toujours ce genre de détails. Déformation professionnelle peut-être.
Puis plus loin, un autre security man,
un grand noir qui parle dans un appareil ou avec si ça ce trouve, juste pour
faire style. La sécurité civile de nos lieux publics et commerciaux est assurée
par la France multiculturelle.
Comme les Men in Black, ils sont là pour protéger la France de la racaille des banlieues extraterrestres. C'est cool l'intégration. C'est marrant, je note décidément toujours ce genre de détails. A quoi ça me sert ? C'est une autre question.
Je me dirige vers l'un de ces innombrables minis
temples de la consommation qui fardent de leurs logos brillants cette gare
majestueuse au sol si reluisant. En l'occurrence un Virgin Mini Store. Bondé de
voyageurs avec leurs bagages à roulettes sur lesquels ma valise à roulette ne
cesse de vouloir rouler. Je me fraye un passage à travers les rayons de livres.
Le dernier Harry Potter ? Non. Ma nièce I. me le
racontera par le détail et sans même que je lui demande. En science-fiction ou
en fantasy que du réchauffé, du convenu et du recyclé, allez zou, on dégage du
secteur.
Les hommes viennent de mars et les femmes de vénus,
puisse Dieu m'en protéger encore longtemps.
Dire qu'une bonne connaissance fut
à deux doigts de me le faire lire dans le but sournois de m'aider à comprendre
la nature de mes relations avec A.
Je me félicite encore chaque matin d'avoir
eu le réflexe de Zizou ce jour là en lui feintant sa race à la bonne
connaissance.
Pourquoi les hommes adorent les chieuses, avec le
sous-titre savoir se faire respecter est la clef de la séduction.
Gonflé quand même. La dernière stratégie marketing, c'est de pondre des
bouquins avec des titres qui posent des questions que toute personne à peu près
normale n'a jamais pensé à se poser.
Mais comme la question est posée, notre
esprit avide de savoir où juste commère est du coup piqué au vif.
Je m'arrête sur la couverture une demi seconde. N'étant pas expert en chieuses et faisant de solides efforts pour les éviter, la réponse à ce pourquoi
incongru je m'en fous de la savoir. Et aujourd'hui encore moins que demain.
Ces Françaises qui ne grossissent pas, c'est sur que sous
la plume d'une Américaine on peu aisément faire ce type de constat, mais
mondialisation aidant, t'inquiète, dans quelques temps ce sera une française
qui écrira : Ces Chinoises qui ne grossissent pas.
La Méthode simple pour en finir avec la cigarette. C'est gagné !
La
première chose à laquelle le titre du livre m'a fait penser c'est qu'il fallait
pas que j'oublie d'acheter un paquet avant de reprendre le train.
Bon sang mais c'est une épidémie ce genre de bouquins au rayon santé,
bien-être, développement personnel et psycho, Vade Rétro, Arnakass !
Et non, non et non, je ne vais pas me racheter le Tao Te King ou le Coran en édition de poche compact à 2 euros tout ça parce que c'est en poche compact et à 2 euros. Je continue à tourner en rond.
Je jette à peine un regard condescendant vers le rayon musique, j'en ai 1 Giga sur mon lecteur mp3, de quoi largement tenir les cinq heures de train qui m'attendent de pied ferme. Il me font presque pitié de nos jours les rayons disques.
Je continue mes circonvolutions dans le rayon livre.
Trois Jours Chez
Ma Mère, le dernier Goncourt, avec la bande rouge marqué PRIX
GONCOURT dessus.
Je n'ai jamais lu un seul Goncourt de ma vie, va
savoir pourquoi, c'est ainsi, à croire qu'une force invisible m'en a toujours
tenu éloigné.
L'esprit de Victor Hugo sans doute puisqu'une voyante italienne
m'a un jour révélé que cet illustre gratteur de pages était assigné à me
veiller.
Et j'avoue que
je ne m'en porte pas plus mal que les Prix Goncourt m'évitent.
Tout ce cinéma,
ces bizbiz entre gros et petits bonnets des milieux littéraires parisiens
vérolés par l'autosuffisance intellectuelle et les petites phrases. De vrais
politiciens ces gens du livre là.
Alors Monsieur Veyergans, même si tu m'es bien plus sympathique que la tête vermoulue de Michel Houellebecq dont La Possibilité d'une Ile
est placé juste en dessous de ton livre, tu vas rester chez ta mère.
Et toi
Houellebecq, je vais garder la possibilité de ne jamais te lire de ma
vie. Même si c'est le seul bouquin naufragé avec moi sur une île
déserte.
J'en ferais du papier toilettes pour les jours où j'essayerais
de me conduire
comme un être civilisé.
Et puis je tombe sur ce titre : Lehaim
(prononcer Lérhayim) aux éditions Pocket Poche.
C'est l'hébreu du
titre qui a bien sur attiré mon attention.
Tiens ? Lehaim ? Et en quel honneur ?
Que se passe ?
Je m'approche. Saisit l'objet. Et non !?!? Pas possible !?!?
Je connais l'auteur !! C'est Sebban !! Michael
Sebban !
Quand je dis connaître c'est connaître en vrai.
Quand j'étais journaliste musical sur cette radio de sauvageons crée par des
morues extraterrestres et barbues, ce gars était membre d'un groupe de rap
nommé LIS.
Un groupe avec lequel mes bons vieux homies N. allias Cheikh et F.
allias Warner avaient aussi bossé à une époque. Epoque bien lointaine. Je
souris une demi seconde en pensant au bon vieux temps. Et aux quelques
anecdotes marrantes au sujet de Sebban.
Michael je le sais à fait des études de
philos par la suite, puis séjour en Israël et enfin retour en France pour
enseigner la philo à Saint-Denis. C'est rigolo de connaître le parcours de
quelqu'un et de le lire dans sa bio ensuite.
En tout cas il a pas changé, c'est lui même en
personne qui pose sur la couverture. Son sempiternel chapeau sur la tête et le pif
que Dieu lui a donné avec générosité. Lehaim !
Est-ce que c'est avec ce bouquin que je l'ai vu se faire caillasser par
Jorge Semprun dans l'émission de Frantz-Olivier Gisbert il y a six ou
sept mois de ça ?
Et oui mon brave, il m'arrive de regarder cette
émission Culture et Dépendances sur France 3. C'est ma seule
consolation depuis la disparition d'Apostrophe il y a des siècles de
ça. Je regarde ça un peu comme un ancien fumeur se contente de patchs.
Pour me sevrer de la grande époque où un livre était un livre.
Bref. Lehaim ! Je lis vite fait le synopsis au dos. Ou le pitch comme disent les intellectuels de gauche avec un ton presque jubilatoire d'après certains analystes.
Lehaim. A toutes les vies ! Michael Sebban – Editions pocket.
Rap hardcore, sale juif, amoureux, anisette de Chez Maurice, Belleville, Oran.
Allez ! Je prends. Mon vieux Sebban, on va voir ce que tu racontes depuis que
t'as lâché le rap.
Quelques centaines de minutes plus tard. Dans un
train pompeusement qualifié de A Grande Vitesse. Heureusement qu'il
fait nuit dehors sinon j'aurais le temps de compter les feuilles sur chaque
branche d'arbre croisée. J'ai mes écouteurs sur les oreilles, ça va en mode
lecture aléatoire du rap à Dalida en passant par des morceaux de musique
chinoise des années 50.
Le type à côté de moi dort. Je déteste être côté
couloir. Le moindre tétraplégique qui se rend aux toilettes tente vicieusement
de m'amocher l'arcade sourcilière gauche dès qu'il passe à côté de mon siège. Heureusement
que j'ai gardé de bonnes bases ma formation de moine Shaolin.
J'ai fini de compulser les magazines et les
journaux pris à la gare. En ce moment je lis tout ce qui peut s'écrire sur les
récents évènements en France.
Je parle du Freestyle géant du
cramage de bagnole et du foutage de gueule organisé des politiciens et de leurs
copains des médias. Presse internationale et nationale. Hebdomadaires et
quotidiens. J'en ai eu pour cher mais bon, vu qu'en général je ne lis la presse
que dans les salles d'attentes…
Si on devait me définir par mes magazines et
mes journaux, on pourrait préjuger que je suis de gauche. Ce qui n'est pas tout
à fait exact. Disons que je ne lis jamais le Figaro sous quelque forme que ce
soit. Même Figaro Madame me donne des boutons dans les salles d'attentes de
cabinets de médecins. Un comble quand même.
Michael Sebban, à nous deux. Je découvre que c'est
ton deuxième bouquin ?
Ton premier était titré : La Terre promise, pas
encore. Mouais… C'est sur. Pas encore t'as bien raison.
En tout cas ton style est fluide. C'est l'histoire
d'Eli S. Prof de philo dans le 9-3.
A peine romancé donc. Mais pourquoi pas y aller à visage découvert Michael ? D'autant qu'à un moment dans le livre il y a une coquille sur le nom du personnage principal qui de Elie S. devient subitement M.S.
S pour Sebban. M pour Michael. Bon d'accord ce
n'est pas toi tout à fait mais quand même ça y ressemble grave.
Le personnage
est un jeune homme de confession juive, pratiquant modéré. Modéré au sens où je l'entends moi c'est-à-dire juste
pieux, juste normalement religieux. C'est pile l'impression que tu donnes dans la vraie vie.
Pieux et désordonné en même temps. Bref, atypique comme toi il est ton
personnage.
Pour qui te connais même un peu, c'est toi que tu mets en scène. En
fait, rien d'étonnant pour quelqu'un qui était dans la culture Hip-Hop, c'est
du pur Ego Trip ton bouquin.
Tout tourne donc autour de cet Eli S. De sa nostalgie
latente d'une époque où les juifs vivaient en Algérie parmi leurs cousins
arabes.
Des déchirures de l'exil vécu à postériori ou par procuration.
Du sentiment d'être Français et de ce que
cela signifie lorsqu'on est aussi pas QUE Français.
De son questionnement
devant la difficulté d'enseigner à une jeunesse qui globalement n'en a rien à
battre. Et pourquoi ? Cela tu ne le dévelloppes pas assez.
Du contrat social tel que défini dans les livres de philosophie.
De la mort du système républicain en France.
Tu affirmes bien dans le livre
et à plusieurs reprises qu'il est temps de penser autrement.
Que les vieux poncifs qui visent à assimiler, intégrer ne sont bon qu'à
rassurer la France d'en haut surtout, pour paraphraser la pensée positive de feu Monsieur
Raffarin.
Il y a aussi cet élève d'origine Algérienne de la
classe d'Eli S. dont plusieurs dialogues parsèment le livre. Franchement
Michael, il est abusé ton reubeu.
Ce Karim comme le
gars de la sécurité dans le hall de gare de tout à l'heure. Vive les Karim.
Est-ce
que tu as pris conscience que tu l'a toujours fait dire (enfin dire à Eli S.) m'sieur quand Karim s'adresse à Eli ? A toutes les phrases.
Un m'sieur
de temps en temps je comprendrais, une marque de respect prof élève de temps à
autre c'est normal et bienvenu, mais aussi systématique que ça ? Non.
La c'est
limite caricatural. Voire carrément guignol de l'info.
Autre chose, je veux bien qu'il existe des hommes
d'affaires juifs qui sont comme dans La Vérité Si Je Mens. Pris par la folie douce du
montrer sa caillasse, très prononcée chez les sépharades culturellement
exhibitionnistes, ça existe d'accord mais là aussi, t'aurais
pu faire preuve d'un peu plus de finesse.
D'ailleurs, t'aurais carrément du
éviter le côté La Vérité Si Je Mens.
C'est rigolo 5 minutes
mais après sérieux ça soule. Disons que ça ira très bien pour les lecteurs goyim
moyens mais pour les autres, de ce point de vue, change ton stylo d'épaule au
prochain bouquin.
En tout cas, ton livre se lit facilement. Le wagon
dans lequel je suis se dépeuple au fur et à mesure que la nuit avance. J'en
profite pour changer de place pour me poser sur un siège côté fenêtre. Là ou
les sièges se font faces par deux et séparés par une table qui se déplie. Là
c'est bien. On essaye de me joindre au téléphone. Pas la peine. J'ai déjà presque plus de
batteries et rien de plus consommateur en batteries qu'un train. Si en rase
campagne aussi, enfin quand on capte.
Le gars assis de l'autre côté du couloir central à
aussi changé de place. Il est plongé dans la résolution de ce jeu qui est en
train de supplanter les mots fléchés. Le Sudoku. J'en ai vu partout des petits
carnets de ce truc.
Voici les principes du Sudoku pour ceux qui reviendraient
d'une longue retraite spirituelle parmi les Hulis de Papouasie Nouvelle Guinée.
Mais pourquoi aller si loin ?
La grille du Sudoku est un carré de neuf cases de
côté, subdivisé en autant de carrés identiques.
La règle du jeu est
simple : chaque ligne, colonne et région ne doit contenir qu'une seule
fois tous les chiffres de un à neuf.
J'en appelle aux adeptes de ce jeu de bien
vouloir me laisser un commentaire m'expliquant la jubilation qu'il semble procurer.
En tout cas si j'en juge par mon voisin. Depuis qu'on est monté dans le train
il ne cesse de noter des chiffres, les effacer, transpirer, essuyer ses
lunettes, grignoter son crayon, replonger vivement sur sa grille, noter un
chiffre, l'effacer, transpirer etc. etc. Et ça depuis 3 heures pleines déjà.
Lehaim !
Globalement Michael, ton livre ne m'apprend rien
que je ne sais ou que je ne pense déjà.
C'est ce qui m'a plu dans ton bouquin
d'ailleurs.
J'y ai retrouvé une expression qui ne figure que trop rarement dans
les livres écrits en français par des Français comme nous.
Car je fais comme
toi partie de cette France marginalisée par défaut de la société française.
Cette France hétéroclite, complexe et culturellement diverse mais qui ne verse
ni dans l'angélisme lénifiant du métissage culturel façon bobo ni
dans le repli communautaire ou identitaire débile et extrémiste façon conios.
Au passage, cette expression métissage
culturel ne veut strictement rien dire. En plus, elle n'est employée et comprise
que par ceux qui ignorent tout des questions de métissage et de culture.
Elle
figure sur bon nombre d'affiches de festivals en France pour accentuer le côté
mixité sociale qui permet seulement de valider un dossier de subvention auprès
de la DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles) ou de quémander quelques subsides qux organismes
publics qui saupoudrent la paix sociale par le biais de ce type d'expressions nases.
Dans ton livre, Michael, tu abordes trop de sujets
sérieux sur un ton que tu as voulu trop relax. Pour mieux faire passer
certaines pilules ? Franchement j'en doute.
Et tout le passage sur la parano
d'Elie S. lorsqu'il se fait traiter de Sale Juif, c'est trop. Une
chose est sure, tu as bien montré quels sont les réflexes qu'emploie toute
personne dont l'identité est humiliée et prise pour cible par des tocards.
Et
ce livre te ressemble. Très intéressant, très nourri de réflexions multiples
aux sources différentes (le talmud, les textes de rap, ceux des philosophes…)
mais les problèmes que tu abordes tu ne les as pas assez classifiés, ni permis
qu'on y voit un peu plus clair.
Tu abordes l'intégration et la faillite du système
assimilationniste français. D'ailleurs les actualités enfoncent le clou pointé par ton
bouquin, cool pour toi. C'est pour ça qu'ils l'on ressortit chez Pocket ? Ils
loupent rien ces gens du livre là.
Tu poses aussi la question du comment être juif Français
en France quand l'antisémitisme pointe sa face de rat galeux, tu chante le mysticisme hassidique, la justesse des mots du rap
quand on prend la peine de les écouter, la poésie du surf et milles autres choses encore.
C'est assez bien
écrit mais trop fouillis. Mais bon, c'était cool de te lire. Je ne regrette pas
mes 6 euros, et si un minuscule pourcentage de mon achat parvient sur ton
compte, c'est avec plaisir qu'il t'est fourni.
Ce livre te ressemble car il est
sérieux et désordonné en même temps. Bref, atypique comme toi il est ton
bouquin.
Au fait, entre nous Michael, tu la connais vraiment la vraie
recette du Berbouche ?
Dans une demi heure, je suis arrivé. Tiens, mon
voisin s'est endormi sur son Sudoku. Je croyais que c'était sensé éveiller les
sens à un degré proche de l'illumination du Bouddha ce truc.
Lehaim !