Note de Fin de Soirée
Cet été fut assez éprouvant en ce qui me concerne. Entre un aller retour à Shanghai pour une conférence sur le vieux Shanghai et ma visite à mon ami Nevada Jim qui possède cet excentrique ranch dans l’Arizona, je n’ai guère eu le temps de poser deux lignes d’écriture. Ce ranch américain n’était pas de tout repos quand j’y repense. Barbecues et Country Songs de rigueur presque tout les soirs. Et mon dieu que le mexicain est bavard ! Très sympathique ce José Martinez, l’homme à tout faire de Jim, mais extraordinairement fertile en matière de conversation sur les différentes façons de marquer au fer le bétail. Quoi qu’il en soit cela change radicalement d’Ibiza en pleine saison.
Enfin de retour chez moi. Home Sweet Home ! Mon amah, ma bien vieille nourrice, qui m’a suivit depuis que nous avons été boutés hors de Shanghai dans les circonstances que l’on sait, a pris son congé annuel. Deux semaines. Elle s'en va en cure avec quelques amies et me reviendra toute ragaillardie patronner les affaires courantes. Et je dois avouer que cela me fait aussi du bien de me retrouver seul. Avoir accès à la cuisine en tenue légère, me préparer tout seul mes petits plats et une foule d'autre choses que seul permet la liberté que procure la pleine solitude. Ce soir, soupe de bœuf au curry avec nouilles de Canton et champignons jaunes du Sichuan, amis linguistes, pardonnez mes libertés avec l'orthographe de ces noms étrangers. Le Pinyin et autres conventions s'embrouillent parfois dans mon esprit. Je crois avoir déjà promis la divulgation de quelques recettes chinoise connues de mon amah seule et je le ferais. Mais en temps voulu comme disait mon Oncle Georges, adepte intransigeant du "pas maintenant tu vois bien que je fais autre chose".
Voila j'ai passé une excellente soirée, studieuse, gastronome, conviviale et mes amis de longue date, Victoria et Abdul, m'ont fait l'honneur d'une courte mais très agréable visite.
Abdul ne s'arrange pas avec les années cependant. Il est
toujours d’un pessimisme exacerbé et continue de ponctuer ses
discussions de "bah, on va tous crever de toute façons" que je
garantis du plus mauvais effet en soirée festive. D’ailleurs comme
quoi, soumis à ce régime, les amis cessent de se bousculer à votre
porte, ce qui s'est vérifié dans le cas d'Abdul depuis vingt années
déjà. Par contre il traîne toujours à sa suite ce misérable (la tendence actuelle utilise plutôt le terme de boulet) de Pa Loo Ping
qui lui sert toujours d’homme à tout faire et de chauffeur quand il
n’est pas ivre mort. J’avoue que je ne le tiens pas en très haute
estime. Si je devais donner une note à cet individu, je chercherais la
pancarte avec le chiffre le plus élevé avec un signe moins devant.
Menteur, fourbe et surtout très en forme pour son age. Enfin passons.
Parlons d’un sujet plaisant, de Vicky en l’occurrence. Elle se porte à
merveille et possède toujours autant de charmes divers et variés.
Toujours aussi maladroite, ce qui fait partie des charmes dont je
parlait plus haut. Elle a quand même réussi à casser mon service
à thé en voulant à tout prix faire la vaisselle avant de partir et ce
malgré mes plus vives protestations et les regards noirs d’Abdul. Vicky est
aussi têtue que maladroite ce qui à l’avantage de vous fixer sur
l’arrivée imminente d’une catastrophe. D’ailleurs en s'excusant des
dégâts qu'elle avait fait dans ma cuisine, elle se mit à faire de
grands gestes pour implorer mon pardon et doubla ses exploits de la
soirée en faisant tomber le reste de ma soupe posé sur la gazinière.
Cela peut sembler curieux mais quand vous pratiquez
les défauts de vos
amis depuis très longtemps vous devenez aveugles devant ce tares de la
condition humaine dont nous sommes tous si généreusement pourvus. D'un
autre côté, le nombre de mes véritables amis se compte sur
les doigts d’une main, ce qui n'affecte pas trop mes réserves de
tolérance envers autrui. Ce fut une bonne soirée...
Jean d'Orson
pour Shanghai Flow